Stratégie d’Entreprise : Comment convaincre son partenaire financier ?
Rencontre avec Alexandre Durot

Problématique: Comment présenter son dossier de demande de crédits dans les meilleures conditions à son partenaire financier ?

Pour se développer, tout agriculteur est amené à investir, soit dans son activité existante, soir pour diversifier ses activités et ses sources de revenus… Une bonne pratique de répartition des risques, qui commence par savoir convaincre ses partenaires financiers. Outre la qualité de son dossier, l’important pour une demande de crédit, c’est aussi de savoir rassurer le banquier en répondant à toutes ses objections car il cherche surtout à évaluer la cohérence du projet.

Alexandre Durot, animateur CIC Est – expert agriculture :

A 42 ans, Alexandre Durot est animateur au CIC Est pour 4 départements. Sur demande des conseillers, il évalue les dossiers de demandes de crédit pour des reprises d’exploitations agricoles et des diversifications, notamment pour l’élevage et les énergies renouvelables. Il est également, depuis 2009, installé avec son frère sur l’exploitation familiale de grandes cultures.

Entretien Alexandre Durot :

Avez-vous, malgré la crise Covid, de nombreuses demandes de crédits pour des diversifications en agriculture?

Nous n’avons pas cessé de recevoir des demandes de crédit en agriculture malgré la crise sanitaire. Du côté de la nature des projets, nous avons moins de demandes en machinisme, mais plus en énergie, méthanisation ou photovoltaïque et, depuis 4 ans, dans les poulaillers de poules pondeuses avec un pic l’an dernier pour accompagner la mutation du secteur vers la fin des cages. Le CIC Est, qui couvre tous les départements du Grand Est, a actuellement 925 M€ d’encours en agriculture. Les enveloppes de crédit sont assez stables d’une année à l’autre.
Aujourd’hui, les deux composantes principales du revenu de l’agriculteur ne sont pas proportionnelles à l’énergie qu’il y consacre, que ce soit le rendement, influencé par les aléas climatiques, ou les prix, même s’il est possible de se couvrir sur les marchés. La rentabilité de l’agriculture est difficile, les exploitations agricoles sont donc de plus en plus diversifiées, grandes cultures et circuits courts, élevage et photovoltaïque, méthanisation et gîtes ruraux… Toute diversification peut constituer un levier de sécurisation du revenu. L’ordre de grandeur pour le ticket d’entrée est assez connu. Par exemple pour un poulailler plein air, il faut compter entre 1,2 et 2 M€. Un projet collectif de méthanisation demandera plutôt 5 à 7 M€ contre 200 à 300 000 € pour un projet photovoltaïque par exemple.

Quels sont les points principaux pour la banque?

L’humain emporte la moitié de la décision bancaire. Nous devons déterminer pourquoi cette personne là porte précisément ce projet là à ce moment là. Quelle est la cohérence par rapport à l’exploitation ? Quelle est la logique par rapport au parcours du porteur de projet ? Nous allons chercher si le client en avait déjà parlé avec son conseiller, s’il avait évoqué l’hypothèse de ce projet etc. Nous nous posons les mêmes questions pour l’arrivée d’un nouvel associé. Il n’est pas du tout question de porter un jugement de valeur ce qui n’est pas de notre ressort, mais réellement d’évaluer la cohérence du projet.

Après l’humain, vous analysez l’aspect économique ?

En fait, l’aspect technique est la seconde étape : nous l’évaluons sur l’aspect du savoir-faire du porteur de projet, mais aussi sur sa capacité à répondre à nos questions de manière argumentée et cohérente. Si un agriculteur envisage de développer des prestations de service, le matériel et le nombre de jours de travail prévus sont-ils cohérents ? Les aléas matériels et climatiques sont-ils pris en compte ?…
Puis, nous entrons dans l’aspect économique en regardant par exemple si le projet est cohérent avec d’autres activités similaires chez d’autres clients. Quelles sont les marges de sécurité tant en CA que pour les charges ? Quelle est la solidité du ou des acheteurs des produits de l’exploitation?…
Du côté des installations, il faut reconnaître que le monde agricole apporte des dossiers bien organisés car ils ont souvent été déjà vus par la Chambre d’agriculture.

C’est gagné à cette étape là ?

Pas tout à fait…Le dernier volet est celui qui paraît le plus injuste à certains mais c’est peut-être le plus sage. C’est l’aspect financier. La personne face à nous est-elle capable d’assurer la taille de son projet ? De supporter un coup dur la première année ? Quelle est sa réelle marge de manœuvre ? Avec un bon prévisionnel, bien présenté, la banque pourrait prêter à tout le monde. Nous nous devons donc de vérifier la capacité du porteur de projet à répondre aux aléas, à éventuellement remettre au pot si besoin, à apporter des garanties complémentaires.
Lorsque nous limitons les encours pour un projet, nous pouvons aider pour trouver des partenariats complémentaires. La BPI ou Siagri peuvent intervenir en cooptation des prêts avec leurs propres analyses, et il existe des fonds d’investissements spécialisés en agriculture.

De manière concrète comment doit se présenter un dossier de demande de crédit ?

Un bon dossier n’est surtout pas un roman. Il apporte des éléments factuels que le porteur de projet doit être capable d’argumenter point par point et dont il peut montrer la cohérence. Par exemple, s’il s’agit d’un projet d’agrandissement, est-ce que cela se fera à charges fixes équivalentes. Il est important que le business plan présente un prévisionnel solide, de la description du projet aux compétences techniques, de la connaissance du marché aux évolutions des prix… Il doit également détailler les garanties et préciser pourquoi ces garanties là. Et, surtout, le porteur de projet doit montrer une excellente connaissance de ce qu’il présente. Il existe de très bons gestionnaires qui sont capables de défendre seuls tous les aspects. Mais si un agriculteur, plus dans la technique, s’est fait aider par un conseiller de centre de gestion ou par son comptable pour les aspects économiques et financiers, celui-ci pourra être présent lors de l’entretien pour préciser pourquoi il a retenu telle ou telle valeur.
Dans tous les cas, le point d’entrée dans la relation reste le conseiller. C’est lui qui va se renseigner dans la banque voire faire intervenir son expert interne si besoin. Nous avons par exemple au CIC Est un expert en méthanisation. Le mieux est de voir son conseiller régulièrement et de lui parler des projets en amont. Il sera d’autant plus à même de supporter le dossier et de le transmettre à la cellule engagement qu’il connaîtra son client. Lors de la présentation du dossier, il faut aussi admettre que le banquier a droit à des réponses à toutes ses questions. C’est à ça que nous jugeons la solidité d’un projet, tant pour un jeune qui s’installe et qui montre ainsi qu’il a bien la tête sur les épaules, que pour une diversification d’ampleur.

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