Impact du changement climatique sur les cultures
Rencontre avec Alfred GASSLER

Bio Interviewé : Alfred GASSLER

Agriculteur installé dans l’Oise depuis 1987, Mr Gassler exploite une ferme de 147 hectares. Il est un pionnier des techniques de conservation des sols puisqu’il pratique le semis direct sous couvert végétal depuis plus de 22 ans. Fort de cette expérience, il développe en complément une activité de Conseil et formation pour accompagner les agriculteurs désireux de se lancer dans cette démarche.

Problématique :

L’impact du changement climatique se matérialise entre autres par la répétition de phénomènes météo extrêmes. Plus que jamais les exploitations agricoles sont exposées à de fortes variations de production qui les fragilisent. Parmi les outils de gestion des risques agronomiques à leur disposition, il est une pratique encore peu développée qui mérite réflexion : Limiter le travail du sol pour en préserver et en accroître la teneur en Matière Organique. Mr GASSLER, pionnier de cette pratique depuis deux décennies, répond à nos questions.

En quoi la teneur en Matière Organique du sol contribue-t-elle à lutter contre les effets du changement climatique ?

En premier lieu, la MO permet d’accroitre la capacité du sol à stocker l’eau et donc à lutter plus efficacement contre le risque de sécheresse. Un sol avec plus de MO est un sol plus souple à la surface et plus aéré en profondeur.

Aujourd’hui, on estime que le taux de MO moyen dans les sols en grandes cultures, se situe entre 1.50% et 2%. 45kg de terre d’un tel type de sol permet de stocker 16 à 20L d’eau (80 mm de pluie). Un sol extrêmement riche en MO, entre 4% et 5%, peut, lui, en stocker 4 fois plus* ! La MO permet également d’augmenter l’infiltration de l’eau dans le sol et d’ainsi lutter plus efficacement contre le risque d’asphyxie en cas de fortes pluies. Par exemple, un sol limoneux « grande culture » ayant une MO comprise entre 1% et 2% permet d’absorber de 1.5mm à 2mm d’eau / heure, alors qu’une prairie, plus riche en MO, avec une plus grande porosité du sol et un couvert végétal plus étoffé, arrivera à absorber 40mm d’eau/ heure.

Par ailleurs, un meilleur taux de MO dans le sol permet une nutrition plus fine de la plante, ce qui permet d’accroitre l’efficacité des intrants et donc d’optimiser leur usage.

*Source : Walters and Fenzais 1979, Ralph Holzwarth, 2005

Quel est la bonne teneur en Matière Organique et comment l’atteindre ?

L’objectif est de faire passer un taux moyen en grandes cultures de 1.50%-2% à 3%-3.5%. L’objectif de gain de MO varie en fonction du type de sol, de l’état de départ et de l’ampleur du changement de modèle entrepris ; une démarche bien menée permet d’atteindre un gain moyen de 0.1% par an soit 0.5% en 5 ans. Ce passage nécessite néanmoins un changement en profondeur des pratiques culturales de l’exploitant qui le plus souvent doit remettre en cause des habitudes bien ancrées.

« Il est plus facile de changer la structure d’un sol fatigué que de changer un mode de pensée inscrit dans les mentalités depuis longtemps » témoigne Mr GASSLER, « Sur mon exploitation, le taux de MO est passé sur certaines parcelles de 1.3% à 3% et cela a pris des dizaines d’années. Je suis passé par des pertes de rendement de près de 50%, du fait d’une démarche expérimentale avant-gardiste et d’erreurs commises. Il est recommandé de se faire accompagner afin d’optimiser la transition ».

Concrètement, quelles pratiques s’appliquent ?

L’objectif majeur est d’emprisonner un maximum de carbone dans le sol, il s’agit donc d’une véritable démarche. Le travail du sol est l’action qui libère le plus de carbone dans l’air : il faut donc le limiter au maximum ! Cela passe par l’addition de plusieurs pratiques, parmi lesquelles le passage en non-labour, la limitation des désherbages mécaniques, l’investissement dans des couverts végétaux diversifiés et le recours aux cultures associées lors des semis.

N’est-ce pas difficile de maîtriser tous ces outils ?

Il faut naturellement se former. Tout paraît complexe au début. Au minimum, il faut suivre une formation de deux jours sur les marchés à terme puis pratiquer régulièrement. L’information est disponible partout, tout le temps. Difficile de se décider face à cette abondance. Par ailleurs, les marchés vont très vite et exigent de la réactivité. Je dirai qu’une fois sa stratégie construite, il faut y passer une heure par semaine. Se faire accompagner pour construire une stratégie adaptée, selon sa taille et son aversion au risque est conseillé.

Quels sont les conséquences ou risques générés par ce changement de pratique ?

Cela dépend beaucoup de l’état initial du sol et de la capacité de l’exploitant à accepter une modification radicale de sa manière de travailler. Par exemple, il sera plus complexe d’appliquer ce changement dans un sol limoneux sans MO, se refermant très vite que dans un sol argilo-calcaire plus simple à travailler et permettant quelques imprécisions. Les premières années peuvent ainsi se traduire par une perte de rendement de 10% à 15%, ou voir apparaitre des problématiques de limaces ou mulots qu’il faudra apprendre à gérer, en évitant par exemple, la destruction des renards dans le second cas. La principale conséquence est le recours accru en glyphosate qui se substitue aux passages mécaniques. « Cela peut déplaire à un public non averti, cependant, la remise en route d’une vie dans le sol démontre son impact positif sur les écosystèmes, la résilience du sol et le stockage du carbone, c’est écologiquement bien plus pertinent, qu’un débat idéologique sur l’usage d’un produit chimique. » explique Mr GASSLER

Parlons chiffres, quel bilan économique peut-on attendre ?

En premier lieu, une telle transformation nécessitera des investissements, tel qu’un semoir de semis direct. Ce n’est pas anodin, puisque coutant de 20 à 25 000€ du mètre. Il pourra cependant être partiellement financé par la revente des outils qui n’auront plus d’utilité : le semoir classique, la herse rotative, le décompacteur, voire même de la charrue, dans les cas les plus aboutis.

Ensuite, il faut intégrer les économies générées par cette démarche qui, ajoutées aux bénéfices de l’augmentation drastique de la résilience du sol, permet un retour sur investissement de 2 ans en moyenne. On estime par exemple que le passage du Labour au non-labour permet de passer d’une consommation de carburant moyenne de 100l/ha à 40l/ha. Cette baisse s’explique notamment par une forte réduction du nombre de passages, ce qui induit de fortes économies de chauffeur, d’usure de matériel et d’entretien. On estime ainsi que chaque litre économisé permet d’induire un gain de 5€.

Enfin, il faut aussi tenir compte de nouvelles charges telles que le poste « couverts végétaux » pouvant aller jusqu’à 100€/ha. L’apport d’activateurs de sols peut permettre d’optimiser la démarche, à condition que les couverts végétaux soient réussis.

En résumé, on estime que la démarche génère un gain net annuel compris entre 100€ et 150€/ha.

En conclusion, l’objectif n’est pas ici de gagner en rendement, il est de ne pas en perdre, et ce, tout en améliorant sa marge.

Accroitre la Matière Organique de son sol est une pratique de gestion de ses risques bénéfique à double titre : elle permet de limiter les conséquences de phénomènes climatiques sévères et de réduire les charges sur l’exploitation. Cependant elle nécessite un changement en profondeur de la manière d’aborder la vie du sol.

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